À l’ère des réseaux sociaux, des médias en continu et disons-le, de la surabondance d’informations, nous sommes tous, à un moment ou un autre, exposés à des nouvelles « scientifiques » qui prétendent tout prouver : qu’un aliment miracle prévient le cancer, qu’une seule habitude de vie prolonge de dix ans l’espérance de vie, ou qu’un médicament est dangereux… Mais comment savoir ce qui est vrai ? Quels sont les pièges qui nous attendent quand les données scientifiques sont vulgarisées (dès fois mal vulgarisées) dans les médias ?
Ce sujet, qui présente les dix erreurs fréquentes à connaître pour exercer son esprit critique est séparé en deux article pour en alléger la lecture. Voici la deuxième partie.
Si tu n’as pas encore lu la première partie de cette série, je te recommande d'aller la lire → Les pièges classiques de la science dans les médias.
Nos biais et ceux des médias : quand la science est déformée
Dans cette deuxième partie, on explore les mécanismes mentaux et médiatiques qui faussent notre compréhension de la science : le biais de confirmation, les faux débats entre experts et pseudo-experts, la confiance excessive envers les communiqués de presse, ou encore la tendance à présenter des hypothèses comme des faits avérés.
En comprenant ces distorsions invisibles, tu pourras aiguiser ton esprit critique et devenir un meilleur lecteur ou relais d’information scientifique. Parce que la science mérite mieux que des raccourcis.
6. Tomber dans le biais de confirmation
Le biais de confirmation est un mécanisme psychologique bien documenté : il s’agit de notre tendance naturelle à chercher, sélectionner, interpréter et mémoriser les informations qui confirment ce que nous croyons déjà, tout en ignorant ou minimisant les informations qui contredisent nos opinions ou intuitions.
C’est un biais cognitif universel : il affecte tout le monde, y compris les journalistes, les scientifiques, les médecins, et bien sûr le grand public.
Il se manifeste de plusieurs façons :
- En choisissant inconsciemment des études qui vont dans le sens de nos valeurs ou de celles de notre audience.
- En interrogeant plus longuement les sources qui confirment nos idées que celles qui les remettent en cause.
- En considérant une faible preuve comme suffisante, si elle renforce ce que l’on souhaite croire.
- En excluant des contre-exemples ou des points de vue divergents sous prétexte qu’ils sont “marginaux”.
Ainsi, par exemple, un journaliste personnellement préoccupé par l’énergie nucléaire pourrait choisir de ne relayer que des études qui pointent ses dangers, en négligeant les recherches plus nuancées sur les avancées en matière de sécurité ou de décarbonation. Cela construit un récit biaisé, même involontairement.
7. Créer une fausse équivalence
Les médias cherchent parfois à respecter un principe d’équité journalistique : donner la parole aux “deux côtés”. Mais en science, tous les points de vue ne se valent pas. La vérité n’est pas une question d’opinion ou de position intermédiaire, mais d’accumulation de preuves et de consensus dans la communauté scientifique.
Ainsi, par exemple, donner un temps d’antenne égal à un climatologue reconnu et à un climatosceptique marginal donne l’impression que le débat scientifique est équilibré. Or, c’est faux. Selon l’UNESCO (2021), plus de 97 % des publications scientifiques concluent que le réchauffement climatique est réel et causé principalement par les activités humaines. D'autres méta-analyses récentes confirment cette quasi-unanimité.
Et pourtant, dans plusieurs émissions de radio ou plateaux télé, on voit encore un expert du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) débattre avec un climatosceptique sans expertise publiée, souvent issu d’un groupe de pression économique ou d’un think tank. Cela donne au public l’impression que la communauté scientifique est divisée, alors qu’il s’agit d’un faux équilibre médiatique.
Dans une démarche rigoureuse, les médias doivent éviter de présenter des opinions marginales comme s’il s’agissait d’une voix “équivalente” à celle du consensus scientifique. Être neutre ne signifie pas accorder la même valeur à toutes les affirmations, mais bien proportionner la couverture à la solidité des preuves.
8. Faire confiance aveuglément aux communiqués de presse
Les chercheurs et les institutions publient souvent des communiqués de presse pour vulgariser leurs travaux auprès des journalistes et du grand public.
Un communiqué de presse est un court document rédigé pour annoncer une nouvelle, souvent par une université, un centre de recherche ou une entreprise, et destiné à attirer l’attention des médias. Il résume les résultats d’une étude, parfois avant même sa publication officielle, dans un langage simple et accrocheur. Ces textes sont souvent préparés par des services de communication, en collaboration ou non avec les chercheurs.
Cela peut être une bonne chose lorsqu’ils sont bien rédigés, rigoureux et nuancés. Mais dans la course à la visibilité, que ce soit pour obtenir du financement, attirer des collaborations ou simplement faire parler de soi, ces résumés peuvent parfois être incomplets, simplifiés à l’extrême, ou même orientés de façon à plaire aux médias ou aux bailleurs de fonds.
Par exemple, en 1989, les chimistes Martin Fleischmann et Stanley Pons annoncent publiquement, lors d'une conférence de presse et via un communiqué de l’Université de l’Utah, qu’ils ont réussi à produire de la fusion nucléaire à température ambiante (appelée Fusion Froide), une avancée qui, si vraie, aurait révolutionné la production d’énergie.
Mais le problème est que l’étude n’a pas été soumise à la révision par les pairs, ni validée par d’autres chercheurs. Rapidement, des dizaines de laboratoires tentent de reproduire les résultats… sans succès. L’annonce spectaculaire est finalement discréditée, et l’affaire devient un cas d’école sur les dangers de médiatiser une découverte avant la validation scientifique.
Cela montre que même des institutions réputées peuvent publier des informations précipitées, si bien que les journalistes doivent apprendre à ne jamais prendre un communiqué de presse pour une preuve suffisante. Il est essentiel de remonter à l’étude originale, d’examiner la méthodologie en détail, et de vérifier si la communauté scientifique a eu le temps de réagir ou de valider les résultats, avant de présenter une annonce comme une véritable percée.
9. Omettre l’incertitude
J’ai déjà entendu la phrase : « C’est prouvé à 100 %. » Or, en science, il n’existe pas de certitude absolue, mais plutôt des degrés de confiance basés sur l’accumulation de preuves. Chaque résultat est accompagné d’un niveau d’incertitude, de marges d’erreur statistiques, et de limites méthodologiques. Toutes ces précisions font partie intégrante du raisonnement scientifique.
On pourrait croire que certaines lois fondamentales — comme celle de la gravité — échappent à cette règle. Et il est vrai que des modèles comme la mécanique de Newton fonctionnent extrêmement bien dans la grande majorité des cas : tous les objets avec une masse tombent, et cela semble "vrai à 100 %" dans notre expérience quotidienne.
Mais même ces lois, aussi robustes soient-elles, ont des limites. Par exemple, dans des contextes extrêmes (trous noirs, vitesses proches de celle de la lumière), la relativité générale d’Einstein remplace les équations de Newton. Cela ne rend pas Newton faux, mais valide dans un certain cadre. C’est cela, la force de la science : ses vérités sont valables jusqu’à preuve du contraire, et ses modèles sont constamment ajustés pour mieux refléter la réalité.
C’est normal, et même souhaitable : la science avance par ajustements successifs, en affinant les connaissances au fil des découvertes, des erreurs corrigées et des débats bien documentés. Mais lorsque ces nuances sont omises dans la vulgarisation ou les médias, cela donne au public une fausse image de la certitude des résultats. On fait alors croire qu’un résultat est définitif, alors qu’il ne s’agit que d’une photographie provisoire du savoir, toujours perfectible.
Ainsi, résister à l’ambiguïté ou dissimuler les incertitudes peut renforcer la méfiance du public, surtout lorsqu’une étude est contredite plus tard. À l’inverse, montrer les limites d’un travail scientifique renforce la crédibilité du message, en rappelant que la science ne cherche pas à avoir raison à tout prix, mais à se rapprocher du vrai, pas à pas.
10. Présenter des hypothèses comme des faits
En science, une hypothèse est une proposition explicative formulée à partir d’une observation ou d’une question. C’est une supposition raisonnée et testable, qu’on va chercher à vérifier ou à infirmer à l’aide d’expériences rigoureuses et d’observations répétées. L’hypothèse n’est donc pas un fait, ni une vérité établie : c’est le point de départ d’un raisonnement expérimental.
Ce processus peut (et doit) s’apprendre dès l’enfance. Par exemple, en première année du primaire, ma fille a participé à une activité scientifique où la question posée était : « Est-ce qu’une pomme, ça flotte ? »
Chaque élève devait d’abord émettre une hypothèse, c’est-à-dire prédire ce qu’il pensait observer. Ma fille a été la seule à répondre que la pomme allait flotter. Pourquoi ? Parce qu’un jour, elle avait vu son grand-père jeter un trognon de pomme à l’eau pendant une partie de pêche — et il avait flotté. Elle s’est donc appuyée sur une expérience vécue, comme tout bon scientifique.
Puis, la classe a fait le test : ils ont mis des pommes dans l’eau. Résultat : elles flottaient. L’hypothèse de ma fille a été confirmée expérimentalement, mais celle des autres n’en est pas moins valable : elles ont permis d’explorer, de comparer et de raisonner.
Et l’histoire ne s’arrête pas là : à partir de là, on pourrait formuler une nouvelle hypothèse : « Est-ce que les poires flottent aussi ? » — ce qui paraît logique… sauf qu’il paraît que non, les poires coulent ! C’est encore à tester, et c’est justement ce qui fait toute la beauté de la science : elle progresse par essais, doutes et remises en question.
Ce processus rigoureux contraste fortement avec ce que l’on voit parfois dans les discours pseudoscientifiques ou sensationnalistes, où des hypothèses non testées, voire réfutées, sont présentées comme des faits avérés. Dire « les ondes causent des cancers » ou « tel aliment guérit le cancer » sans qu’il y ait de données robustes, c’est faire passer une hypothèse, voir une croyance, pour une vérité, et induire le public en erreur.
La science ne fonctionne pas sur la base de croyances, mais sur l’évaluation progressive d’hypothèses à l’épreuve des faits. Une hypothèse ne devient une connaissance fiable qu’après avoir résisté à des tests répétés, des critiques méthodologiques et des tentatives de réfutation.
Mieux penser pour mieux comprendre
Décoder l’information scientifique ne s’improvise pas : cela demande de la rigueur, de l’humilité, et surtout, une conscience claire de nos propres biais. En comprenant comment nos esprits peuvent être trompés — par des récits mal construits, des études mal relayées ou des réflexes cognitifs automatiques — on développe ce qu’on appelle la confiance intellectuelle : cette capacité à penser par soi-même, à poser les bonnes questions, et à s’orienter dans un monde rempli de fausses certitudes.
C’est exactement ce que nous explorons dans nos formations “Confiance Intellectuelle”, proposées dans le cadre du projet Évolution Héroïque : apprendre à mieux penser, mieux comprendre, et mieux transmettre. Si ce type de démarche t’interpelle, inscris-toi à notre infolettre tout en bas de la page, pour être tenu.e au courant des prochaines sessions de formation, des outils pédagogiques gratuits et des nouvelles capsules à venir.
Sources pour approfondir le sujet :
- Le module gratuit « Décoder l’info scientifique » de l’Agence Science-Presse : formations.sciencepresse.qc.ca
- Vaccines are not associated with autism: An evidence-based meta-analysis – Taylor et al., BMJ, 2014
- Bradford Hill, A. (1965). The Environment and Disease: Association or Causation?, Proceedings of the Royal Society of Medicine.
- WHO (Organisation mondiale de la santé). Communicating risks in public health emergencies, 2017
- Vosoughi, S., Roy, D., & Aral, S. (2018). The spread of true and false news online. Science, 359(6380), 1146–1151. https://doi.org/10.1126/science.aap9559
- Rencontre avec Vincent Larivière: revues et conférences prédatrice. Youtube. 2019. https://youtu.be/tElb9Ns9-bM?si=Bk0Gx4DUA-g09y1G
- Cook, J., Oreskes, N., Doran, P. T., Anderegg, W. R. L., Verheggen, B., Maibach, E. W., & Green, S. A. (2013). Quantifying the consensus on anthropogenic global warming in the scientific literature. Environmental Research Letters, 8(2), 024024. https://doi.org/10.1088/1748-9326/8/2/024024
- Lynas, M., Houlton, B. Z., & Perry, S. (2021). Greater than 99% consensus on human caused climate change in the peer-reviewed scientific literature. Environmental Research Letters, 16(11), 114005. https://doi.org/10.1088/1748-9326/ac2966
- UNESCO. (2021). Débattre de l’avenir de l’humanité : Le climat, la vérité et la démocratie. Rapport de la conférence mondiale sur la liberté de la presse 2021. https://fr.unesco.org/sites/default/files/wpfd2021_outcome_document_fr.pdf
Les données scientifiques dans les médias: Dix pièges à éviter pour ne pas se faire berner - Partie 2